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Des raisons de se réjouir, lorsque la jurisprudence ivoirienne en matière de la commande publique épouse la position de la doctrine

Dans le cadre de la procédure d’appel d’offres international avec présélection n°S31/2012, pour la mise en concession de la réalisation et de l’exploitation du deuxième Terminal à Conteneurs (TC2) du Port d’Abidjan, l’un des soumissionnaires avait saisi en référé, le Tribunal de Commerce d’Abidjan, à l’effet de faire injonction au Port Autonome d’Abidjan d’avoir à lui communiquer le rapport d’analyse de la Commission d’Ouverture des plis et de Jugement des Offres (COJO), sous astreinte comminatoire d’un milliard (1.000.000.000) de F CFA par jour de retard, à compter du prononcé de sa décision.
Le Juge des référés du Tribunal de Commerce d’Abidjan avait, par ordonnance en date du 12 avril 2013, déclaré la requête du soumissionnaire recevable, mais l’avait débouté, en jugeant que l’article 75.3 de l’ancien Code des marchés publics, sur le fondement duquel l’action a été engagée, ne met pas à la charge de l’autorité contractante une obligation de communiquer le rapport d’analyse de la COJO, mais plutôt de permettre au soumissionnaire d’en prendre connaissance sur place.

Le faisant, le Tribunal de Commerce d’Abidjan avait admis sa compétence à connaître des contentieux dans le domaine des marchés publics et des contrats de partenariats public-privé.
Suite à cette décision, en ma qualité de Secrétaire Général Adjoint à l’Autorité Nationale de Régulation des Marchés Publics, chargé des Recours et Sanctions, j’avais produit un article intitulé « Quelle compétence pour le Tribunal de Commerce dans le contentieux des marchés publics ? ».

Aux termes de cet article, je m’étais employé à démontrer que le contentieux juridictionnel de la passation de la commande publique relève exclusivement du domaine du recours en annulation pour excès de pouvoir, conditionné par le respect, au préalable, du recours non juridictionnel dévolu, à cette époque, au regard du décret n°2009-259 du 6 août 2009 portant Code des marchés publics, tel que modifié par les décrets n°2014-306 du 27 mai 2014 et n°2015-525 du 15 juillet 2015, à l’Autorité Nationale de Régulation des Marchés Publics et à la Commission Administrative de Conciliation.

L’ordonnance n°2018-594 du 27 juin 20182 portant création, organisation et fonctionnement de l’Autorité Nationale de Régulation des Marchés Publics, ratifiée par la loi n°2020-484 du 27 mai 20203, est venue par la suite, reverser à l’Autorité de Régulation, à travers la création du Comité de Règlement Administratif, les missions de la Commission Administrative de Conciliation, lui conférant ainsi, l’exclusivité du contentieux non juridictionnel de la commande publique4.

Cette ordonnance a également eu le mérite de recadrer le champ de compétence de l’organe de régulation, en lui retirant le contentieux contractuel de la commande publique, c’est-à-dire les contestations liées à l’interprétation des contrats, à leur exécution physique et à leur paiement. Désormais, pour ce type de contentieux, l’Autorité de régulation ne procède qu’à des conciliations, d’ailleurs laissées à la faculté des parties au contrat. Cette ordonnance a donc permis au juge du plein contentieux de recouvrer la plénitude de sa compétence en la matière.

Entre temps, prenant la pleine mesure de cet article qui conteste, arguments juridiques et références jurisprudentielles à l’appui, l’intrusion inattendue du Tribunal de Commerce dans le champ du contentieux de la commande publique et principalement des marchés publics, cette juridiction a eu la noble réaction de procéder à un revirement de position qui est à mettre au crédit de l’humilité intellectuelle de ses animateurs et singulièrement de son Président.

En effet, par jugement RG N°0893/18 en date du 05 avril 2018, dans l’affaire opposant la société EMMASON à l’Université ABOBO-ADJAME, le Tribunal de Commerce d’Abidjan a décliné sa compétence pour connaître de la demande de la requérante visant à obtenir la condamnation de l’autorité contractante à lui payer le montant de sa facture émise dans le cadre de l’exécution d’un marché public. Le Tribunal de Commerce a jugé, à bon droit, que « la fourniture de biens au profit d’une personne publique dans le cadre de l’exécution d’un marché public est un contrat administratif par détermination de la loi et non un acte de commerce. Il en résulte que c’est aux juridictions de droit commun que la demanderesse doit soumettre sa demande et non aux juridictions de commerce cruellement dépourvues de compétence en matière administrative ».5

De même, dans l’affaire opposant Monsieur SILUE Marius à la Direction Générale des Cultes et à l’Etat de Côte d’Ivoire, portant sur la réclamation par le titulaire d’un marché public du paiement de ses prestations, le Tribunal de Commerce a établi sa jurisprudence, en précisant que « la loi n°2016-1110 du 08 décembre 2016 portant création, organisation et fonctionnement des juridictions de commerce…n’a pas donné compétence aux juridictions de commerce pour connaître des litiges se rapportant à un contrat administratif ». 6

Ces deux décisions qui ne sont pas certainement exhaustives, illustrent suffisamment le revirement jurisprudentiel salutairement opéré par le Tribunal de Commerce d’Abidjan en matière de commande publique, et me donne de bonnes raisons de me réjouir lorsque la jurisprudence ivoirienne épouse, comme c’est le cas d’espèce, la position de la doctrine.

BILE Vincent
Docteur en droit
Secrétaire Général Adjoint
Chargé des Recours et Sanctions
Autorité Nationale de Régulation
des Marchés Publics (ANRMP)
v.bile@anrmp.ci

Source: www.anrmp.ci